Au cours des dernières années, des considérations environnementales liées à l’utilisation de produits à base de pétrole ont mené de nombreux chercheurs à l’échelle mondiale à évaluer des options plus vertes pour réduire l’empreinte carbone des routes asphaltées. De plus, la dégradation des chaussées, accélérée par une circulation accrue et un nombre plus élevé de cycles de gel et dégel liée aux changements climatiques, a une incidence directe sur les municipalités et les ministères du transport qui ont dû absorber des hausses de coûts. L’asphalte utilisée pour les routes est fabriquée en combinant un mélange d’agrégats avec de bitume, un produit pétrolier. Cependant, la lignine, un sous-produit naturel issu du procédé de fabrication de la pâte, est entrevue comme un produit de remplacement potentiel pour une partie du bitume utilisée dans l’asphalte. Reconnue comme la « colle naturelle du bois », la lignine lie les fibres cellulosiques des plantes, et on estime qu’elle pourrait servir la même fin dans la production de revêtements d’asphalte.
Au Canada, le marché global du bitume utilisé pour l’asphalte est actuellement évalué à près de 4 millions de tonnes par année; alors que près de 40 % du réseau routier est pavé—ce qui représente des centaines de milliers de kilomètres—ce nombre pourrait croître avec l’augmentation des activités de pavage et d’entretien des routes. Toutefois, il existe deux défis importants à considérer quand on envisage de remplacer par la lignine un produit aussi bien utilisé et reconnu que le bitume.
D’abord, on ne comprend pas totalement comment l’asphalte fabriquée à partir d’un mélange de bitume et de lignine réagira par temps froid. Le remplacement partiel du bitume par la lignine comme liant dans l’asphalte n’a été testé que dans les conditions hivernales plus douces d’Europe, ce qui signifie que l’utilisation de produits d’asphalte fabriqués à base de lignine dans les conditions météorologiques plus rigoureuses du Canada nécessiteront des essais tant en laboratoire que sur pistes d’essai pilote.
Ensuite vient la question d’adapter le procédé de production d’asphalte afin d’y intégrer la lignine. FPInnovations y a vu un potentiel et a décidé de relever le défi.
Afin de valider la faisabilité d’utiliser un revêtement d’asphalte fait à partir de lignine modifiée dans les conditions prévalant au Canada et de résoudre les difficultés liées au procédé, FPInnovations a sélectionné des partenaires sur l’ensemble de la chaine de valeur de l’asphalte, allant d’organismes gouvernementaux et universités à des spécialistes de procédés et producteurs de lignine et d’asphalte.
Les résultats préliminaires sont prometteurs, selon Allan Bradley, chercheur principal du groupe Transport et infrastructures de FPInnovations. « Déterminer le bon pourcentage de lignine à substituer au bitume tout en améliorant les attributs de performance de l’asphalte comme la résistance à la fatigue, à l’orniérage, à l’arrachement, à la dégradation des fissures, le bruit (contact pneu et route) et la portance seront des éléments clés pour le succès du projet. Les essais supplémentaires en laboratoire tenteront également de vérifier comment la lignine peut influer sur la performance au fissurage thermique, une propriété qu’il est important d’améliorer dans notre climat. »
Les partenaires de FPInnovations dans le projet incluent :
L’expérience européenne
Des essais effectués en Europe ont confirmé la faisabilité d’utiliser la lignine en remplacement partiel du bitume, avec des taux de substitution atteignant jusqu’à 50 %.
L’utilisation de lignine peut aussi réduire de façon importante les émissions de CO2 liées à la construction et à l’entretien des routes tout en capturant le carbone à long terme.
Bien que des caractéristiques de performance acceptables soient requises pour assurer la certification du produit final par les municipalités et gouvernements provinciaux, le véritable défi à la pénétration des marchés de ce nouveau bioproduit sera la création d’un procédé économique de production d’asphalte intégrant la lignine. À cette fin, FPInnovations a entrepris des discussions avec des producteurs d’asphalte, joueurs clés dans la résolution de cette problématique. Leur expérience et leur savoir-faire sur la fabricabilité des produits d’asphalte devrait offrir une meilleure compréhension de sa production à plus grande échelle.
« Nous sommes très heureux de prendre part à ce projet et d’y contribuer par nos connaissances, » soulignait
M. Fred Hakala, directeur général chez Pioneer Construction, partenaire d’essais sur le terrain à Thunder Bay (ON).
« Les essais doivent démontrer que le produit obtenu à partir de la substitution du bitume par la lignine offrira des qualités équivalentes sinon supérieures au produit existant, et ce, en évaluant clairement l’impact économique, tant pour les producteurs d’asphalte que pour les consommateurs. »
Du laboratoire au banc d’essai
Au cours des prochains mois, un programme d’essai accéléré de chaussées sera réalisé sur le simulateur de pointe, à échelle réelle, de la Chaire de recherche i3c de l’Université Laval. Le simulateur permettra d’évaluer, en seulement quelques semaines, l’effet de plusieurs années de passages répétés de circulation lourde sur une chaussée d’asphalte avec lignine. Cet automne, après réception de résultats concluants aux essais en laboratoire et en simulateur, une première série de démonstrations pilotes de chaussées utilisant l’asphalte modifié par la lignine sera effectuée au Canada, soit à Sturgeon County (AB) et Thunder Bay (ON). « Nous sommes enthousiastes à l’idée de participer à ce projet qui vise à apporter des produits durables sur le marché, » confirmait Richard Hart, directeur général chez Park Paving, partenaire d’essais sur le terrain à Sturgeon County (AB). « Notre climat nécessite des matériaux spécialisés pour résister aux nombreux cycles de gel/dégel, et la qualité de l’asphalte ne peut être compromise par la substitution du bitume. Le produit final doit répondre, voire excéder les spécifications actuelles ainsi que procurer un impact économique positif pour les payeurs de taxes. »
La ville d’Edmonton (AB) évalue également la possibilité d’entreprendre un essai pilote; des discussions sont en cours dans les provinces de Québec (Ministère du Transport du Québec) et de la Colombie-Britannique (différentes municipalités) pour des projets de démonstrations effectués dans leur juridiction. « Les essais sur le terrain à venir visent à établir la formulation optimale de mélange pour atteindre des niveaux accrus de performance tout en minimisant les impacts négatifs, et ce, à partir de composés qui maintiendront les produits finaux à des prix concurrentiels, » ajoutait Allan Bradley.
En présumant un taux de substitution de 5 % à 10 % du bitume par la lignine et une pénétration de marché de 20 % par le nouveau produit environnemental, une demande annuelle potentielle de 40 000 à 80 000 tonnes de lignine serait créée, en plus d’ouvrir un nouveau marché pour la lignine de grande valeur tirée des usines canadiennes de pâte kraft.
Au Canada, l’usine de pâtes et papier de West Fraser à Hinton (AB) produit déjà de la lignine de source renouvelable et durable et de qualité constante à partir du système LignoForce, un procédé de récupération de la lignine à partir de liqueur noire développé conjointement par FPInnovations et NORAM Engineering. « Nous avons très hâte de connaître les résultats préliminaires d’essais sur le terrain utilisant la lignine produite à notre usine, » soulignait Rod Albers, directeur, Énergie et développement de bioproduits chez West Fraser. « Il s’agit d’une étape importante vers l’obtention d’un produit efficace fait à partir d’un matériau naturel et renouvelable dérivé de la fibre forestière canadienne et capable d’offrir des routes de qualité dans des conditions climatiques complexes. »
« Nous savons à quel point des routes durables et bien construites sont importantes à Sturgeon County. Je suis convaincue que notre circulation et les conditions hivernales de Sturgeon permettront d’obtenir des résultats d’essais valables pour établir la viabilité de la lignine comme matériau pour la construction de routes. Nous sommes heureux de prendre part à ce projet pilote et sommes impatients de connaître l’impact potentiel de cette nouvelle technologie. »–L’Honorable Alanna Hnatiw
Maire de Sturgeon County
Avantages environnementaux
Le groupe Environnement et développement durable de FPInnovations a analysé les potentiels avantages environnementaux découlant de l’utilisation de la lignine dans l’asphalte. Dans le cadre d’une étude préliminaire effectuée en Alberta, en assumant qu’il soit possible de substituer 5 % à 10 % du bitume par de la lignine dans un mélange type d’asphalte, les résultats ont démontré que des émissions atteignant entre 16 000 et 31 000 tonnes d’équivalent CO2 par année pouvaient être évitées. À l’échelle nationale, cela se traduit par une réduction annuelle des émissions de GES de l’ordre de 117 000 à 260 000 tonnes d’équivalent CO2. Cela équivaut à retirer jusqu’à 56 171 autos de la route chaque année.
Tandis que le réseau routier continue de croitre au Canada, l’utilisation de solutions plus vertes et plus économiques comme la lignine pourrait en intéresser plusieurs.
Pour plus d’information ou si vous souhaitez unir vos forces et participer à ce projet collaboratif, communiquez avec Natacha Mongeau, Gestionnaire, Développement d’affaires chez FPInnovations.
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