D’abord publié dans le magazine BC Forest Professionals
Qu’est-ce que Nike, BMW, Prada, Christian Dior et Louis Vuitton ont en commun? L’utilisation de cuir de poisson. C’est un ancien matériau de plus en plus utilisé en raison de son faible impact environnemental, de sa grande beauté et de sa durabilité.
Le cuir et la chaussure ne sont pas des secteurs auxquels FPInnovations s’est associé dans le passé. Mais à notre ère d’interconnectivité, les chemins de FPInnovations et de l’entreprise 7 Leagues étaient appelés à se croiser. En Colombie-Britannique, le rapprochement de la forêt et de la mer est inévitable.
Lorsqu’en 2019, 7 Leagues, une tannerie de cuir de poisson du nord-ouest du Pacifique et un bottier haut de gamme, a approché FPInnovations, un organisme de recherche et développement spécialisé dans les solutions favorisant la compétitivité du secteur forestier canadien à l’international, le besoin était clair : obtenir un tanin végétal de grande qualité pour fabriquer du cuir et des chaussures à partir de poissons locaux de source durable. Le tanin est un composé naturel utilisé dans la production de cuir, qui le rend souple et durable. Dans ce cas, le tanin servirait à fabriquer du cuir à partir de peaux de poisson, et en particulier, pour 7 Leagues, de saumon sauvage récolté durablement.
Pourquoi du cuir de poisson?
7 Leagues suit une tendance croissante dans l’industrie de la mode vers une production plus conscientisée sur le plan environnemental, social et éthique. La peau de poisson présente des caractéristiques uniques et malgré sa minceur, est plus résistante pour une même épaisseur que le cuir animal en raison de ses fibres croisées. La peau de poisson est un sous-produit de l’industrie alimentaire qui se retrouve souvent à la poubelle; utiliser la totalité du poisson ajoute de la valeur aux pêches, réduit les déchets et est plein de bon sens.
La fabrication de cuir de poisson remonte à des siècles chez les Premières Nations, dans l’Arctique ainsi qu’en Asie et en Europe. Ce type de cuir revient maintenant comme nouveau produit dans le monde de la mode haut de gamme, avec des méthodes un peu différentes. Renouveler l’art du tannage du cuir de poisson en C.-B témoigne de l’ingéniosité des pratiques passées et de leur adaptabilité à l’innovation d’aujourd’hui.
Un obstacle? Non, une occasion!
Historiquement, le tanin tiré des écorces était le produit le plus courant pour préserver les peaux, donnant aussi le nom à la pratique : tannage. Comme la fabrication moderne s’est tournée vers des méthodes plus rapides et moins coûteuses, c’est une solution chimique toxique de sels de chrome qui a remplacé le procédé végétal dans tout le marché, sauf le haut de gamme. Les tanins végétaux produisent un cuir plus solide, mais le chrome nécessite moins de temps, d’argent et de compétences.
Vers les années 1950 et 60, le tanin local de pruche ne pouvait plus concurrencer le chrome pour le tannage du cuir. La dernière usine de tanin de pruche de la province a donc fermé. Les sels de chrome qui servent à tanner environ 90 pour cent du cuir de nos jours sont nuisibles pour l’environnement et pour les travailleurs des tanneries. Ainsi, avec le resserrement des règlements en Amérique du Nord, le tannage au chrome a été presque complètement écarté.
Recherche d’une solution locale
Développement durable en tête, la recherche d’un tanin local écoresponsable pour faire du cuir de poisson a débuté. Les seuls extraits de tanin que 7 Leagues a pu trouver sur le marché, cependant, étaient importés. Comme importer des produits ligneux en Colombie-Britannique, c’est comme importer du sable au Sahara, ce problème devait pouvoir être résolu par une solution locale.
Des projets de recherche menés par FPInnovations sur des essences d’arbres du Canada ont révélé que la concentration de tanin était plus élevée dans la pruche de l’Ouest, le mélèze occidental et l’épinette noire. Certains extraits d’écorce montrent même une activité antimicrobienne contre des pathogènes et une forte activité antioxydante. L’extrait de pruche de l’Ouest s’est révélé l’un des meilleurs candidats.
La précieuse pruche de l’Ouest
La pruche de l’Ouest est l’essence la plus abondante sur la côte de la Colombie-Britannique. Son bois est utilisé dans l’industrie du sciage et son écorce sert de biocombustible dans les usines de pâte de la côte. La chute de la demande pour les produits papetiers traditionnels, comme le papier journal, génère une augmentation de la disponibilité de l’écorce de pruche. Il faut pour cette nouvelle source d’écorce de nouvelles applications, idéalement à valeur ajoutée, comme l’extraction de tanins.
Tenter de tirer plus de valeur de l’écorce, considérée comme un sous-produit de faible valeur, était parfaitement logique. En fait, le ministère des Forêts, du Territoire, des Opérations des ressources naturelles et du Développement rural a lancé en 2019 la Coast Forest Sector Revitalization Initiative, entre autres pour accentuer la transformation des billes et réduire la fibre résiduelle laissée en forêt.
On trouve généralement l’écorce de pruche de l’Ouest comme rejet des usines et parcs de triage, souvent situés à proximité de communautés autochtones. L’écorce est principalement disponible sous forme de débris ou déchets, mais avec un triage et une gestion adéquats, elle peut être accessible à très bon marché. C’est une occasion de travailler avec les communautés autochtones pour développer une entreprise forestière d’économie circulaire.
Une recette pas si secrète
La première méthode d’extraction des tanins faisait appel à de l’éthanol et à de l’équipement sophistiqué; elle devait respecter des conditions et mesures de sécurité strictement contrôlées. Au départ, on a cherché à évaluer la faisabilité de l’extraction de tanins des écorces et leur qualité. Dans cet essai, la pruche a démontré un fort potentiel par rapport à d’autres espèces.
D’autres travaux visaient à trouver un protocole d’extraction maison respectueux de l’environnement qui ne nécessitait pas trop d’équipement. Le protocole se sert uniquement d’eau comme solvant et produit des quantités et qualités de tanins similaires à la méthode à l’éthanol. Cette nouvelle méthode pourrait être utilisée dans les communautés autochtones côtières et par d’autres intéressés pour extraire les tanins à une échelle relativement petite.
FPInnovations a consulté plusieurs communautés autochtones côtières pour mieux comprendre leurs connaissances traditionnelles. On a ainsi remarqué que bien que le cuir de poisson soit traditionnellement tanné à l’huile, la plupart des autres cuirs étaient tannés à l’aide de cervelle animale et d’écorce de pruche, cette dernière lui donnant sa couleur rouge distinctive.
Et maintenant?
Nous sommes très satisfaits des résultats du cuir de poisson tanné avec le tanin de pruche. Les essais ont produit une couleur rouge frappante et un parfum boisé, pour un cuir original des Cascades qui se distingue sur le marché international. 7 Leagues espère que la production commerciale d’extrait de pruche commencera bientôt, car l’entreprise aimerait l’ajouter à sa gamme de produits.
Mieux encore, si les partenaires autochtones de FPInnovations choisissent de mettre en marché l’extrait de tanin de pruche, ce serait une autre façon d’utiliser le commerce comme force positive pour répondre aux besoins sociaux, environnementaux et économiques de la Colombie-Britannique par un usage fructueux des ressources locales.